Jusque maintenant, mon engagement à YAKA s’est déroulé en deux phases. De septembre 2017 à juillet 2018, nous avons eu, de manière hebdomadaire (tous les samedis après-midi), 35 ateliers pédagogiques citoyens et solidaires de trois heures par semaine sur l’engagement, le développement. L’un des enjeux de ces ateliers était de nous préparer au voyage d’immersion solidaire et interculturel d’une durée de 45 jours, celui-ci représentant la seconde phase (juillet-août 2018). Lors des ateliers hebdomadaires, nous étions des participant-e-s et des animateurs (de Yaka) se chargeaient de préparer les ateliers. Lors de ce voyage d’immersion, nous étions des acteurs/actrices car il nous incombait de préparer les ateliers, organiser des évènements etc, au cours de ce voyage dans le village de Soussane (département de Mbour) au Sénégal.

Ce voyage d’immersion est avant tout un voyage interculturel entre les lauréats de France (dont je fais partie) et jeunes soussanoise-s. Notre rôle (car nous étions un groupe de 15 lauréats, 12 français-e-s et 3 Dakarois-e-s) a été d’animer la vie du village pendant tout notre séjour. Chaque semaine, une journée était consacrée à l’élaboration d’ateliers (dans l’ordre, éducation, environnement, économie, politique, culture et société). De plus, on a fait des business Battle (confectionner un produit et le vendre), un projet de micro développement et l’évènement majeur; le forum.

La plupart des choses qu’on a mises en place sont à situer dans une démarche collective car nous étions avant tout un groupe. Avec des camarades, nous avons participé à l’élaboration de plusieurs ateliers pédagogiques. A titre personnel, j’ai contribué aux ateliers sur l’éducation, l’économie et la politique. Sur l’éducation, j’ai parlé de l’échec scolaire où devant plus de 50 personnes, je suis revenu sur mon échec en classe préparatoire, ce qui était particulièrement difficile mais nécessaire pour leur montrer que l’échec était chose universelle.

Sur le thème de l’économie, nous avons élaboré l’atelier en planifiant les intervenant-e-s, et ce qui était intéressant, c’est que les femmes du village, généralement absentes pour des tâches domestiques, sont intervenues pour nous parler de leur banque de crédit. L’atelier politique, j’ai dû l’élaborer seul et même si cela a été dure car situé en fin de séjour, juste après le forum, les réactions positives de mes camarades me font considérer que cela a été une réussite. Je devais notamment faire une introduction à la politique et leur parler des enjeux de l’élection présidentielle de 2017. Nous avons mis en place un projet de micro développement, où les villageois-e-s devaient énoncer leurs besoins, sans que nous ayons à intervenir, et c’est l’idée de construction d’un moulin qui l’a emporté après un vote où plus de 100 villageois-e-s se sont exprimés.

Il y a beaucoup de choses que j’ai appréciées. Le forum a été l’un des moments les plus forts de ce voyage. Le forum est une journée organisée par les lauréat-e-s et les villageois-e-s, où plusieurs invités de renoms ont été conviés, notamment un représentant du ministère de l’agriculture sénégalais ainsi que Mamadou Mar, jeune sénégalais qui a remporté le plus grand concours universitaire africain, en plus d’autres invités. En plus du fait que ces invités vont débloquer des bourses pour des formations professionnelles ou encore prendre en compte des dossiers (dans l’agriculture) pour avoir des subventions de l’Etat, cette journée a été très importante car plus de cent villageois-e-s (avec villages alentours) étaient présent-e-s. C’est une journée où se conjuguent interventions et présentations des invités, openspace (débats sur des thèmes comme l’éducation, politique, famille, religion, santé + une restitution collective), appel à projets avec présentation à l’oral, pièce de théâtre, animations.

Tout cela devait être organisé par nous-mêmes. Dans cette perspective, plusieurs équipes avaient des rôles bien précis dans la préparation du forum, une équipe chargée de la logistique, une autre de la communication, une troisième équipe s’occupant de la nourriture et une dernière équipe travaillant sur la pédagogie. Mon rôle pendant ce forum; j’étais dans l’équipe pédagogie, nous avons choisi les thèmes de l’open-space et étions référents pour le bon déroulé de notre open-space, où nous devions rappeler des règles d’écoute, de bienveillance, de liberté d’expression et où nous devions répartir la parole entre différents participants. J’ai également aidé la maitresse de cérémonie, Fatou, qui avait 16 ans, à préparer ses interventions et le jeune Djibril à préparer son discours pour son projet de reboisement. Les ateliers prises de parole, que j’animais, sont les actions dont je suis le plus fier, au regard de l’intérêt des villageois et des progrès réalisés à l’oral.

J’ai rencontré beaucoup de difficultés lors du voyage mais un moment a été très difficile pour moi : la remise en question de ma place dans le groupe, je m’explique. Dès le début du voyage, je me suis affirmé dans le groupe pour être force de propositions et être un moteur dans le bon déroulé de notre immersion. Il y avait une chose que je n’avais pas soupçonnée en arrivant au Sénégal, je ne connaissais pas énormément le travail en groupe et ne savais pas qu’en réalité, nous n’étions pas qu’un ensemble d’individualités mais qu’à nous tous, nous ne faisions qu’un. En effet, je ne me doutais pas que mes actions personnelles pouvaient avoir des répercussions (positives mais en l’occurrence) négatives pour la vie du groupe. Nous sommes au début de notre séjour, je prends beaucoup de place dans le groupe, trop de place avec le recul même si cela partait toujours d’une bonne volonté. Certaines choses ne me conviennent pas et je n’hésite pas à le communiquer à l’ensemble du groupe, sans y mettre la forme, en parlant uniquement de ce qui ne va pas.

Suite à un entretien avec Marie, ma référente, où à juste titre, elle m’énonce un certain nombre de choses sur lesquelles je dois travailler, s’enchaine une profonde remise en question. Après avoir réfléchi longtemps, je me jure d’essayer d’être constructif, de dire quand les choses ne vont pas mais également de dire ce qui a été dans nos différents travaux. Auparavant, je devenais problématique pour la vie du groupe car je ne cessais de me plaindre sans être constructif. De plus, je me suis mis en retrait car je prenais trop de place dans la vie du groupe. Un vrai leader n’est pas une personne qui prend les devants en laissant les autres sur le côté. Non, un vrai leader est une personne qui sait prendre les devants, mais qui veille toujours à inclure ses camarades, faire en sorte de mettre à profit du groupe ses qualités (pas dans un objectif individualiste). Mes camarades ont vu ce changement en moi, j’espère avoir changé positivement.

Ce qui m’a surpris dans mon engagement associatif et mon voyage au Sénégal, c’est que ces gens qui vivent dans un village, sans électricité, ni eau potable, semblent plus heureux que nous. Je vous disais auparavant que ma plus grande fierté était d’avoir mis en place des ateliers prise de parole. En France, j’ai suivi des cours de rhétorique, été initié à la prise de parole public, et mon but était de leur partager ce peu d’expérience que j’avais. Laissez-moi vous dire ma surprise lorsque j’ai vu ces jeunes de Soussane prendre la parole pour parler de sujets qui leur tiennent à cœur, comme l’émancipation de la femme, la pauvreté, la volonté. J’ai été très agréablement surpris par les progrès qu’ils/elles ont pu faire dans la prise de parole en public.

J’ai également été surpris par la reconnaissance des villageois-e-s sur ce qu’on a pu apporter au village en si peu de temps. Concernant le projet du moulin, qu’ils/elles ont choisi, on a donné une part avant de partir et la majorité de la somme, ce sont les lauréat-e-s et les jeunes du village qui vont se mobiliser pour avoir l’argent. Nous nous sommes engagés à récolter une certaine somme d’argent ici à Paris, et cela m’a beaucoup surpris de voir tout le monde investi dans cette démarche. En réalité, nous ne sommes restés que 6 semaines là-bas, je pensais avant de partir que cela allait surtout profiter à nous, française-s, mais croyez-moi, avant de partir, ils/elles étaient vraiment très reconnaissant-e-s de notre action.

On a compris en partant tout ce qu’on a laissé au village, à savoir, le projet de micro-développement, mais la chose la plus importante, ils/elles ont appris autant que nous pendant ce voyage interculturel. En agissant avec eux/elles, ils/elles se sont rendus compte qu’ils/elles pouvaient prendre leurs destins en main, on a participé au fait de redonner de la confiance à ces jeunes, et je vous prie de me croire, cela a une valeur inestimable. Depuis mon engagement associatif dans Yes Akademia, la personne que je suis aujourd’hui, comparée à celle que j’étais avant de m’engager, n’est clairement plus la même. Les ateliers hebdomadaires m’ont permis d’ouvrir mon esprit, d’avoir de l’intérêt pour des sujets qui n’avaient que très peu importante à mes yeux. Avec le voyage d’immersion solidaire et culturel, je ne suis plus le même individu. Je me rends compte de la chance que j’ai de vivre dans un pays développé, avec tout le confort matériel d’ici.

Mon engagement m’a permis d’évoluer car je me suis rendu compte que le confort matériel ne faisait pas tout, et que ces gens, malgré leur condition de vie rudimentaire, semblaient plus heureux que nous. Ces personnes sont d’une hospitalité qu’on ne peut pas soupçonner, la fameuse Téranga sénégalaise, nous l’avons vue, ressentie au quotidien; une véritable leçon d’humanité

Mon engagement m’a permis d’évoluer car j’ai compris que je pouvais être un acteur du changement. Avant cela, j’avais l’impression qu’il était impossible de faire certaines choses mais aujourd’hui, je le sais, pour changer les choses, avec de la volonté, rien est impossible.

Vous savez, à notre retour en France, avec Yes Akademia, nous devons mettre en place un projet de troisième phase, entre septembre et janvier, jamais, je ne m’étais imaginé avoir comme projet de troisième phase d’accompagner une jeune du village, Fatou Diome dans ses études, en l’aidant financièrement, moralement sur le long terme. Merci à Yaka pour cela.

Mon engagement associatif m’a changé, ce voyage interculturel au Sénégal m’aura bouleversé, remis en question, appris à me connaitre davantage. YES Akademia m’aura ouvert l’esprit, sensibilisé à beaucoup de choses, appris à prendre confiance en moi, à considérer que rien n’était impossible. Mon engagement dans cette ONG m’a fait prendre conscience de mes qualités et a fait en sorte qu’aujourd’hui, je n’ai aucune crainte quant à la possibilité d’étudier dans une grande école, même si j’en connais les difficultés et l’exigence. »

Petite biographie de Memet

Memet, 20 ans, d’origine Kurde vient de Saint Germain-les-Arpajon et étudie à l’Université Nanterre-Saint Denis. En plus d’avoir voyagé dans plusieurs pays en Europe, il parle couramment le kurde et a aussi un niveau intermédiaire d’anglais. Il cherche à consacrer sa vie pour un monde plus juste ce qui l’a poussé à s’engager à YES Akademia à travers IMPOWER. Selon lui, l’éducation est essentiel pour changer les mentalités dans le monde. Ce qui révolte Memet sont les origines sociales qui pèsent sur la réussite scolaire, il est aussi vraiment concerné par l’écart entre les plus riches du monde et les plus pauvres. Il a déjà des expériences professionnelles : il a travaillé sur des marchés, comme équipier chez McDonald’s, et animateur dans des centres loisir. Il s’engage aussi dans des activités sportives comme le foot et la natation. Memet est une personne entière, qui montre une connaissance profonde du monde autour de lui. Il est sérieux, assidu, ouvert d’esprit et à une grande capacité d’adaptation. Il est motivé, prend beaucoup d’initiatives, et sait motiver les autres avec son humour.